Résolution sur la régulation du foncier dans une perspective de souveraineté alimentaire
L’Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Bruxelles (Belgique) du 8 au
12 juillet 2012, sur proposition de la Commission de la coopération et du développement,
- CONSIDERANT que la faim et la pauvreté continueront de s’accroitre si les populations perdent le droit le plus élémentaire d’accès aux richesses de la nature qui leur permet de vivre ou de survivre ;
- RAPPELANT les objectifs du Millénaire pour le développement qui fixent comme première priorité la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim ;
- OBSERVANT que l’agriculture est, dans la majorité des cas, la base du progrès économique et de la réduction durable de la sous-alimentation ;
- CONSTATANT le phénomène récent d’expulsion de leurs terres des populations locales par de nombreux investisseurs privés, les laissant dans une situation d’insécurité alimentaire ;
- CONSTATANT que les terres sur lesquelles la pression est la plus forte sont les terres proches des voies de communication et fertiles ou aisément irrigables pour lesquelles la concurrence est la plus forte ;
- CONSIDERANT que le droit fondamental à l’alimentation est violé quand les personnes qui tirent leurs moyens de subsistance de la terre ne peuvent plus avoir accès à celle-ci ;
- OBSERVANT que la spéculation foncière, entraînée notamment par la hausse et la volatilité accrue des prix des matières premières agricoles et par l’augmentation de la demande pour les agro-carburants, conduit à un accaparement à grande échelle des terres agricoles et, par conséquence, une insécurité alimentaire pour de nombreux pays et particulièrement en Afrique subsaharienne ;
- CONSTATANT que cet accaparement se fait avec une très grande facilité au détriment de l’agriculture familiale et vivrière, en dépit de l’importance de celle-ci pour la réduction de la pauvreté rurale, le développement rural, et la sécurité alimentaire locale ;
- OBSERVANT que, si dans certains cas, les investissements faits ont un effet positif en permettant le développement d’infrastructures et en désenclavant certaines zones, ils sont généralement orientés vers des cultures de rente vouées à l’exportation des productions et non vers la satisfaction des besoins des habitants ;
- CONSTATANT que l’arrivée des spéculateurs remet en cause les réformes agraires, principale demande des organisations paysannes en faveur de la réalisation progressive du droit à l’alimentation ;
- CONSIDERANT que l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantissent le droit à l’alimentation, dont il découle une obligation de ne pas priver les agriculteurs de leurs moyens de production et une obligation renforcer la capacité des communautés locales à se nourrir ;
- CONSIDERANT la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et en particulier le principe reconnu du consentement libre, préalable et éclairé ainsi que la Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail, et plus particulièrement ses articles 13 à 19 ayant trait aux droits fonciers, qui interdisent toute expulsion forcée des peuples autochtones de leurs terres et subordonnent tout changement d’affectation des terres dont ils dépendent à leur consentement préalable, libre et éclairé ;
- CONSIDERANT l’adoption le 11 mai 2012 des « Directives volontaires pour gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire mondiale » par le Comité de la Sécurité alimentaire mondiale ;
- RAPPELANT l’appel de Dakar contre les accaparements des terres lancé par le Forum social mondial de 2011, la résolution du Parlement européen du 18 janvier 2011 sur la reconnaissance de l’agriculture comme secteur stratégique dans le cadre de la sécurité alimentaire ;
- CONSIDERANT le Cadre et les lignes directrices (CLD) de l’Union africaine visant à dégager les meilleures pratiques en matière de politique foncière, de développer des processus participatifs et inclusifs et de tenir compte des pratiques locales innovantes et tenant compte d’un cadre régional pour l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques foncières convergentes dans l’espace CEDEAO ;
La Commission de la Coopération et du Développement de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
- RECOMMANDE aux Etats de soutenir par tous les moyens possibles la formation, l’encadrement et l’appui aux organisations paysannes ainsi que l’intégration de cette priorité dans les politiques de coopération ;
Dans les pays sujets à un investissement foncier
- INVITE les gouvernements à associer les populations locales concernées aux négociations d’accords d’investissement, ce qui leur permettra de donner librement et en connaissance de cause leur consentement préalable ;
- INVITE les gouvernements à prévoir des études d’impact concernant les conséquences d’un investissement sur la jouissance du droit à l’alimentation et à comparer les avantages d’un tel accord avec les alternatives à un changement d’affectation des terres, ces alternatives pouvant être plus favorables aux besoins à long terme des populations locales ;
- INVITE les gouvernements à veiller à ce que toutes les autres solutions réalisables soient envisagées en concertation avec les personnes touchées avant de procéder à des expulsions ou d’introduire des changements dans l’utilisation des terres ;
- RECOMMANDE aux gouvernements d’adopter une législation visant à protéger les droits des communautés locales et à garantir que des expulsions ne seront décidées que dans l’intérêt général, et dans le respect intégral des Principes directeurs sur les expulsions et les déplacements dus à des projets de développement présentés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement adéquat1 ainsi que des Principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme applicables aux acquisitions et locations de terres à grande échelle présentés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation2 ;
- RECOMMANDE à ces mêmes gouvernements d’aider les particuliers et les communautés locales à obtenir des titres de propriété individuels ou l’enregistrement collectif des terres qu’ils occupent pour que leurs droits puissent être pleinement protégés par les tribunaux ;
- 1 Principes de base et directives concernant les expulsions forcées et les déplacements liés au développement élaborés présenté dans l’Annexe 1 du Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, Miloon Kothari, 5 février 2007, A/HRC/4/18
- 2 Acquisitions et locations de terres à grande échelle : ensemble de principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme, Rapport présenté au Conseil des droits de l’homme [A/HRC/13/33/Add.2]
- INVITE les gouvernements à prévoir en cas d’investissement à grande échelle des clauses stipulant qu’un pourcentage minimal des récoltes sera vendu sur les marchés locaux et que ce pourcentage pourra être augmenté dans des proportions à convenir à l’avance si les prix des produits alimentaires atteignent un certain niveau sur les marchés internationaux ;
- ENCOURAGE des mécanismes d’appui adéquat pour accroître la productivité des agriculteurs locaux et faire en sorte qu’ils ne subissent pas de perte de revenus suite à l’arrivée sur les marchés locaux de denrées à bas prix produites dans des conditions plus compétitives sur de grandes plantations aux mains d’investisseurs étrangers ;
- ENCOURAGE le développement de sociétés locales chargées de l’aménagement foncier et de la protection des terres exploitables ;
- RECOMMANDE l’obligation pour l’investisseur étranger d’accorder un accès au crédit et à des technologies plus performantes à des agriculteurs travaillant sous contrat, en échange de la possibilité d’acheter une partie de la récolte à des prix prédéterminés ;
- ENCOURAGE l’instauration d’une coopération entre l’Etat et les investisseurs afin de définir des modes de production agricole respectueux de l’environnement appliquant également une vision articulée entre les différents secteurs comme l’utilisation de l’eau ;
Dans les pays investisseurs
- RECOMMANDE une transparence des marchés à terme sur les places financières ;
- RECOMMANDE l’adoption d’une législation interdisant la spéculation financière sur la hausse des prix des produits alimentaires ;
- RECOMMANDE de conditionner la reconnaissance des fonds de pension et de vieillissement au respect des critères de développement soutenable3 ;
- RECOMMANDE que le soutien aux investisseurs, à travers des agences de crédit aux exportation, des mécanismes de réassurance, ou les financements accordés par des banques de développement, soit subordonné au respect par l’investisseur bénéficiaire du respect intégral des Principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme applicables aux acquisitions et locations de terres à grande échelle présentés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation ainsi que des Directives volontaires sur la gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le cadre de la sécurité alimentaire sur un plan national, adoptées par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale ;
De manière globale
Selon le rapport Brundtland, le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.
- RECOMMANDE une mobilisation des ressources annoncées par les pays développés lors du Sommet d’Aquilla en faveur du financement de l’agriculture dans les pays en voie de développement ;
- ENCOURAGE les Etats à mettre en oeuvre les Directives volontaires sur la gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire mondiale sur un plan national, en concertation avec tous les acteurs concernés, en particulier, les mouvements sociaux et paysans.