Allocution du Secrétaire général parlementaire à l'occasion du colloque organisé à l'Université de Luxembourg
Monsieur le Président de la Chambre des députés du Luxembourg,
Monsieur le Recteur de l’Université du Luxembourg,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, chers collègues,
Mesdames, Messieurs les professeurs,
Distingués participants et invités,
Chers amis francophones,
Enfin nous y sommes ! Ce colloque sonne comme un retour à la vraie vie ! Et c’est pour moi, tout à la fois, une émotion, une joie et un honneur de m’exprimer devant vous, au titre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, à l’occasion de cette cérémonie de lancement solennel du premier Master en études parlementaires en langue française.
C’est pour moi d’abord tout à la fois un plaisir, une émotion, partagée par tous puisque ce premier master est dédié à la mémoire de l’un des vôtres : le regretté Richard Ghevontian, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Aix-Marseille, et membre du comité scientifique de la Chaire de recherche en études parlementaires de l’Université du Luxembourg.
A. LE PARLEMENT LUXEMBOURGEOIS, MEMBRE FONDATEUR DE L’APF
Une joie ensuite de me retrouver ici, au sein du dernier Grand-duché, dont le pays est immense par la place qu’il tient en faveur de la démocratie, de la diversité et des progrès sociaux et humains.
Vous êtes Membre fondateur de l’APF ! C’est ici, en mai 1967 que l’histoire de la Francophonie parlementaire a débuté avec les parlementaires de langue française (AIPLF). Et nous ne devons jamais oublier notre histoire !
Devenue Assemblée Parlementaire de la Francophonie en 1998, l’APF est aujourd’hui forte de 90 sections membres, réparties sur les cinq continents.
Au sein de l’APF, on peut aussi certainement affirmer que la section luxembourgeoise est l’une des plus actives de notre institution grâce au sérieux et à l’état d’esprit constructif qui animent les députés membres de notre bureau.
Je tiens particulièrement à saluer Monsieur Mars di Bartolomeo qui siège aussi au Comité de pilotage de la chaire, notre nouveau trésorier. Il s’inscrit dans la continuité du travail de Monsieur Alex Bodry, appelé à des responsabilités importantes dans votre pays. Je salue aussi le président de section, M. Gusty Graace et tous les parlementaires luxembourgeois, et les administrateurs.
Une émotion ensuite, celle de me retrouver ici, à la Chambre des députés de Luxembourg, quatre ans après notre session plénière où nous avons célébré ici le 50e anniversaire de l’APF. C’était en 2017, ma première participation officielle en tant que vice-président de la section française de l’APF.
Et je me souviens du discours de votre Premier ministre parlant avec force de la diversité et du respect du multilinguisme, mis en place par la loi de 1984, ici au Grand-Duché.
Votre langue est le fruit de votre histoire, enrichie par d’autres cultures. Vous montrez ainsi au reste du monde que nous pouvons être ce que nous sommes sans être replié sur soi. Quel bel exemple !
Vous comprendrez alors, pourquoi, c’est enfin un honneur pour moi de m’exprimer devant vous en tant que Secrétaire général parlementaire.
B. UNE SYNERGIE BIENVENUE ENTRE PARLEMENTAIRES ET LES CHERCHEURS
Et au nom de l’APF, je tiens sincèrement à vous remercier, Monsieur le Président de la Chambre des députés du Luxembourg, Monsieur le recteur de l’Université et bien évidemment Monsieur le Professeur Poirier, titulaire de la Chaire de recherche en études parlementaires de la Chambre des Députés du Luxembourg, d’avoir associé l’Assemblée parlementaire de la Francophonie à cette conférence académique.
Et j’espère que nous pourrons avoir prochainement un partenariat encore plus poussé.
C’est, pour moi et l’ensemble de mes collègues, une nécessité de s’entourer d’universitaires engagés dans le champ de la recherche au service du développement du progrès humain.
Cela permet aux élus de sortir de l’entre soi des schémas de pensées politiques ou institutionnels traditionnels, il faut bien le dire, parfois trop étroits.
C’est l’occasion de montrer que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », que c’est avec les matériaux de la conscience que l’on bâtit les progrès humains ! Et nous politiques et vous, universitaires, chercheurs, vous devez rappeler que le complotisme, l’obscurantisme, conduisent l’humanité dans l’impasse et la régression.
C’est pourquoi dans ce monde instable qui se cherche, il nous faut plus que jamais encourager et favoriser le rapprochement entre les politiques, les élus, les chercheurs et les universitaires.
C’est ensemble que nous pourrons tracer des perspectives d’avenir pour les habitants.
C. RÉENCHANTER LA DEMOCRATIE POUR REVIVIFIER LE PARLEMENT
Le thème que vous avez choisi « Les parlements aux prises avec la souveraineté et la subsidiarité », il est audacieux mais essentiel à l’heure où les démocraties perdent de leur vitalité ; et où, au contraire la montée des discours souverainistes et nationalistes se développent.
Enrichi par l’apport de chercheurs, d’universitaires, le sujet éminemment politique qui nous rassemble aujourd’hui doit nous inciter à nous pencher sur nos fonctionnements institutionnels.
Votre colloque pose la question de la souveraineté. La pandémie a remis cette idée au centre des débats politiques et même publics. Donc, votre colloque arrive à point nommé.
La souveraineté, au sens étymologique, est un pouvoir suprême, non subordonné, non limité au bénéfice au départ de la monarchie et qui sera progressivement attribuée à l’État, puis à la Nation.
Et il faut le reconnaître, la souveraineté est bien souvent une question sensible aux différents échelons de la société et des institutions. Elle renvoie à l’histoire personnelle des pays, des nations.
Mais il nous permettra de mieux définir la subsidiarité, un principe qui reste encore flou, hermétique et méconnu auprès des citoyens.
Par définition c’est “le principe selon lequel une autorité centrale devrait effectuer uniquement les tâches qui ne peuvent être effectuées de manière efficace à un niveau plus immédiat ou local.”
Souveraineté et subsidiarité posent enfin l’enjeu de la place des parlements nationaux dans nos démocraties mais aussi de leur légitimité par rapport aux organisations internationales. C’est une question centrale pour l’APF.
Les repères d’hier, que l’on croyait immuables, volent en éclat et les crises multiformes qui traversent nos sociétés recouvrent avant tout une crise de sens ; d’une part parce que la mondialisation économique mais aussi culturelle, idéologique ou politique échappe aujourd’hui très largement au contrôle des États et touche tous les niveaux de l’organisation sociale.
Les frontières qui délimitaient la sphère d’influence d’un état sont devenues particulièrement poreuses. Mireille Delmas-Marty, juriste française, professeure honoraire au Collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, déclare même :
« Je ne vois pas l’avenir comme un maintien d’un modèle purement souverainiste parce que je crois que les interdépendances sont devenues tellement fortes entre les États que la vision de systèmes de droit nationaux fermés sur eux-mêmes, stables et fixes me paraît dépassée ».
D’autre part, nos concitoyens certes doutent de tout, et ne se retrouvent plus dans la politique. Ils ont perdu confiance en leurs dirigeants. Ce discrédit a pour conséquence néfaste l’effondrement de la vitalité de nos démocraties. Rester sourds à la volonté du peuple c’est nier le principe même de la démocratie qui est fondé, entre autres, sur son écoute et sa participation.
D. RETROUVER LA CONFIANCE EN MODERNISANT NOS INSTITUTIONS
Pour qu’ils puissent retrouver confiance en l’action politique et en l’action publique, notre système démocratique doit certes se moderniser, évoluer. Mais l’exigence démocratique ne repose pas essentiellement sur les institutions. Il repose avant tout sur la responsabilité et l’engagement de nos concitoyens. La démocratie renouvelée ne pourrait pas exister sans démocrates actifs !
Alors, si, nous, les politiques nous devons nous remettre en cause, il nous faut aussi analyser et comprendre les évolutions de nos sociétés pour mieux répondre à leurs aspirations.
Habiter un territoire ou payer des impôts ne suffisent plus pour partager la conscience d’appartenir à la même communauté et pour en accepter ses règles.
Le concept de subsidiarité peut-il apporter des réponses à cette évolution globale et profonde de nos sociétés ? Et la séparation des pouvoirs doit-elle aujourd’hui être complétée par le partage du pouvoir ? Souveraineté et subsidiarité peuvent-elles s’articuler entre les différents niveaux de gouvernance : l’échelon local, le cadre national et les organisations régionales ou internationales ? Et enfin quelle place et quel rôle pour les parlements dans ce nouveau pacte social ?
Encore faut-il savoir donner à ce concept un cadre politique, surtout quand il se frotte à la question sensible de la souveraineté des états déjà aux prises avec leur intégration dans des instances régionales et internationales.
Et il convient de prendre garde aux interprétations qu’un tel concept peut recevoir en fonction des diversités culturelles ou de contextes politiques.
Or, le premier sens du mot évoque l’idée de suppléance, de quelque chose de second, de moins important. Cela signifie que l’autorité́ supérieure ne peut intervenir que lorsque l’autorité́ inferieure a révélé́ ou prouvé son incapacité.
Le second sens évoque l’idée de secours (subside) et sous-tend plutôt une idée d’intervention. Il s’agit cette fois de mesurer non pas si l’autorité́ a le droit d’intervenir mais surtout si elle n’en a pas le devoir. Elle renvoie à une forme d’aide qui encourage l’émancipation et l’autonomie.
A la différence de l’intervention de l’État-providence qui a l’égalité́ pour fin, celle de l’État subsidiaire ne vise pas, selon la philosophe, Chantal Millon-Delsol à "égaliser les libertés d’action" mais à les persuader de se développer au contraire au maximum de leurs capacités, quitte à orienter leurs finalités par des lois appropriées.
De par son ambivalence, la subsidiarité́ se voit donc partagée entre deux hypothèses. Soit elle poursuit l’objectif une meilleure réalisation de l’action et une plus grande efficacité́ de l’autorité́ supérieure. Soit elle poursuit l’objectif d’une meilleure vitalité de la démocratie en favorisant le niveau d’action le plus proche du citoyen.
Qualifiée de « concept à géométrie variable » ou « à double facette », la subsidiarité reste souvent avant tout une organisation de travail soumise au principe de souveraineté intra ou supranational et du contexte historique, culturel et géopolitique des États.
A titre d’exemple, l’Union européenne, est née de la nécessité pour les états d’aller au-delà de leurs souverainetés trop fortes et sources de conflits mais en Afrique, c’est au contraire, la prise de conscience de la grande fragilité de la souveraineté individuelle des États, face aux difficultés de la conjoncture internationale qui a encouragé le processus d’intégration régionale.
En Europe, le principe de subsidiarité inscrit dans le traité de l’Union européenne traduit donc davantage, une méthode d’organisation des pouvoirs qu’une finalité́ de l’action publique.
Jacques Delors, qui a fortement contribué à remettre le principe de subsidiarité au-devant de la scène européenne, disait pourtant qu’il s’agit là de « l’élément essentiel pour redonner toute sa noblesse et toute son efficacité à la politique ».
Je partage cette analyse que mon expérience d’élu local, de député et maintenant de Secrétaire général parlementaire renforce jour après jour.
C’est pourquoi aussi, l’APF milite pour un engagement actif en faveur de l’interaction entre la société civile et les parlements. Souvent plus agiles que nos institutions et sans doute plus imaginatives, le rôle des parlementaires est de contribuer et d’accompagner les innovations du terrain.
Nous avons aussi besoin de la société civile organisée pour faire remonter les aspirations des citoyens. Transformer ces aspirations en actions concrètes, inscrites dans la loi, c’est en revanche de la responsabilité des parlementaires.
Les parlements doivent alors s’imposer comme des institutions clés pour réparer les fractures des nations et entre les nations, rétablir la confiance des sociétés civiles envers l’action publique et pousser les gouvernements à engager des transformations concrètes et appropriées plus rapidement.
Et cela vaut bien évidemment dans le cadre national d’abord mais aussi dans le cadre international.
Si la Francophonie prône le multilinguisme, c’est parce qu’il est l’équivalent linguistique, culturel voire civilisationnel du multilatéralisme. Un multilatéralisme qu’il nous faut réinventer.
L’ambition de Léopold Senghor était de construire un nouvel ordre mondial dans lequel les espaces géo-culturels et les aires linguistiques exerceraient une influence déterminante sur la politique internationale.
Face à la diversité des défis à surmonter, on a pensé que l’uniformisation des idées véhiculées par une seule langue faciliterait la communication et rapprocher les peuples. Quelle erreur !
C’est oublier que la langue, à travers ses mots, son verbe, sa syntaxe, constitue une structure de pensée, propre à chacun des peuples, à laquelle chaque nation s’identifie et s’ouvre au monde.
C’est pourquoi nous militons pour le respect du multilinguisme dans les instances internationales. Nous sommes convaincus que la priorité dans ce monde en pleine mutation reste d’abord d’ordre linguistique pour rétablir un cadre de dialogue efficient.
Cette ambition politique ne peut s’inscrire que dans une intégration régionale plus forte avec davantage de responsabilités aux chargés de mission des 4 régions de l’APF.
Nous pourrons ainsi mieux prendre en compte les besoins des populations et mieux y répondre, gagner en souplesse et flexibilité pour mieux appréhender les perspectives de développement, favoriser les échanges et les coopérations.
Parallèlement, à cette ambition politique, l’APF s’est engagée collectivement dans la modernisation de ses statuts et de son fonctionnement du secrétariat général, avec trois objectifs :
- Mettre en œuvre pleinement notre Cadre stratégique ;
- Rendre plus fluide, transversale et transparente l’action administrative ;
- Incarner la dimension politique et non-partisane des valeurs de la francophonie.Emmanuel Maury, le SGA, s’étendra plus en détails sur ces réflexions.
CONCLUSION
Monsieur le président, Monsieur le recteur, Mesdames et Messieurs,
Nous avons tous conscience que chaque peuple du monde a son destin en main. Il avance à son propre rythme selon son histoire, ses besoins, son mode de vie, ses frustrations et ses espoirs.
Mais nous avons aussi tous conscience que dans un espace mondialisé, nous sommes tous interconnectés et interdépendants.Les crises politiques, économiques, sociales, humanitaires ou environnementales ont des répercussions à l’échelle planétaire.
La crise sanitaire que nous traversons nous le rappelle tragiquement.Dans ces conditions, l’humanité́ ne peut assurer son avenir que par une coopération qui respecte la primauté du droit, certes, mais qui tienne compte aussi du pluralisme, garantisse plus de justice dans les échanges économiques internationaux et qui s’appuie sur la participation de toute la société́ civile à la construction de la paix et de la démocratie.
Or, le principe même de subsidiarité est fondé sur l’idée qu’une paix durable est plus vraisemblablement atteinte lorsque les mécanismes de résolution des conflits sont dirigés par des acteurs ayant une proximité culturelle, géopolitique et/ou stratégique à la crise.
Il en va de même pour tous les autres champs au développement de nos sociétés. Selon moi, la subsidiarité ne nuit pas à la souveraineté nationale ou supranationale. Bien au contraire, elle lui donne tout son sens en responsabilisant et en donnant les moyens d’agir à tous les niveaux.
La subsidiarité ne serait plus alors un alibi mais bel et bien un principe politique qui reposerait sur la représentation nationale.
La création de ce nouveau cursus d’études parlementaires francophones dont les talents exerceront dans nos pays, ancre votre action dans cette dimension solidaire, transversale, novatrice et efficace.
N’oublions jamais que subsidiarité et souveraineté doivent être au service des populations, dans le respect de la diversité qui est « notre devise », comme le disait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry et dont nous fêtons le 400e anniversaire. Une diversité, comme le prônait Senghor, qui trouve sa pleine expression politique dans l’universalité des droits !
Je vous remercie de votre aimable attention./